lundi 23 janvier 2012

Louis-Charles Mahé de La Bourdonnais

Lors de ma dernière visite à la Bibliothèque Nationale de France, j’ai notamment consulté un petit recueil d’articles de journaux concernant le Café de la Régence.
Voici un premier article qui concerne Labourdonnais, meilleur joueur du Monde disons de 1830 environ à son décès en 1840.

Je n’ai pas le nom du journal dans lequel est paru cet article.
Il n’était pas mentionné dans le recueil à la BNF...
Seule une date crayonnée (mai 1841) était indiquée.

Avant de lire cet article voici quelques précisions sur Labourdonnais.
Louis-Charles Mahé de Labourdonnais est né en 1795 (peut-être en 1797).
Il est indiqué partout que son lieu de naissance est l’île de la Réunion.
Mais j’ai trouvé une source qui indiquait Saint-Malo… Bref il reste une incertitude à mes yeux.

Elève de Deschapelles, Labourdonnais est également le fondateur de la première revue d’échecs du monde « Le Palamède » en 1836.
En 1834 il joue plusieurs matchs contre le plus fort joueur de Grande-Bretagne Mac Donnell et gagne globalement.
Ceci lui permet de revendiquer le titre de meilleur joueur du Monde.
Un point important dans cet article : il est fait mention de ses excès de nourriture et d’alcool.
Ceci est probablement la cause du mal qui l’emporte prématurément le 13 décembre 1840 à Londres.

Ci-après le seul portrait connu à ce jour de Labourdonnais (source Google Book).
Ce portrait a été publié dans le Palamède en 1842 avec le texte suivant :

Il n’existe aucun portrait de Labourdonnais. A sa mort, M. Deville moula sa tête. C’est sur ce plâtre et les souvenirs qu’il en conservait que M. Marlet a osé entreprendre de remplir cette lacune. – Nos lecteurs jugeront la ressemblance et sauront apprécier toutes les difficultés qu’un artiste de mérite a eu à surmonter pour faire revivre les traits de Labourdonnais.


Voici maintenant le texte concernant La Bourdonnais.

LE CAFE DE LA REGENCE (mai 1841)

Un autre personnage, entrant à l'instant même dans le café, réclame toute notre attention. Quel tumulte cause son arrivée ! Il a peine à se frayer un passage au travers de la foule qui, à son aspect, s'est levée pour le recevoir. Cinquante joueurs l'accostent et lui parlent à la fois... mais ils font un tel vacarme, qu'il ne peut les entendre. Ne pas connaître ce potentat qui s'avance si noblement vers son trône, serait un crime de lèse-majesté pour un amateur des échecs. Le nouvel arrivant est M. de Labourdonnais, proclamé à l'unanimité, depuis la retraite de Deschapelles, le premier joueur d'échecs de l'univers entier.

M. de Labourdonnais est le rejeton d'une famille noble, et le petit-fils du gouverneur de l'Ile Bourbon, immortalisé par Bernardin de Saint-Pierre dans Paul et Virginie. Il a environ quarante-cinq ans (Note du rédacteur. Depuis que cet article a été écrit, M. de Labourdonnais est mort à Londres, Boncourt l'avait précédé dans la tombe).

Il fit ses études au collège de Henri IV, mais il n'exerça jamais aucune profession que celle de joueur d'échecs, profession qu'il adopta à l'âge de vingt ans; car une mauvaise spéculation lui enleva de bonne heure le petit héritage que lui avait laissé son père. Physiquement parlant, M. de Labourdonnais a de larges épaules carrées, une haute taille, une tête solide et massive, sur laquelle les organes du calcul et de réflexion sont énormément développés; un front napoléonien, et un regard si perçant, qu'à le voir on n'est plus étonné d'apprendre que son heureux possesseur joue si bien les yeux bandés.

N'avez-vous jamais vu M. de Labourdonnais faire sa partie ? Eh bien ! Approchez. Son adversaire est M. Boissy-d'Anglas, pair de France, auquel il rend la tour. La lice va s'ouvrir; autour des combattants se presse une foule choisie: le général Haxo, Méry le poète, Lacretelle, Calvi, Chamouillet, Robello, et enfin le vénérable chevalier de Barneville, âgé d'environ quatre-vingt-dix ans, qui a joué avec Philidor et J.J. Rousseau, et qui réunit ainsi trois générations.

De l'orient et de l'occident, du nord et du midi, tous les fameux joueurs d'échecs de l'univers sont venus s'agenouiller devant le trône de leur monarque. Quelques-uns, il est vrai, ont tenté de lui enlever sa couronne, sous le prétexte de lui présenter leurs hommages; aucun n'a réussi. Pendant les quinze années de son règne, Labourdonnais n'a rencontré qu'un seul homme auquel il ne put faire aucun avantage; c'était feu Mac Donnell. En ce moment, abattu par une longue et cruelle maladie, il joue encore mieux que jamais. Sa grande âme s'élève au-dessus de ses souffrances corporelles et triomphe de la douleur physique. Puisse sa santé lui être bientôt rendu.

Fermeté et promptitude, telle est la devise de Labourdonnais. Un adversaire redoutable l'appelle-t-il dans sa lice, il ne demande pas plus d'un quart d'heure pour se préparer au combat. Il joue à toute heure du jour et de la nuit; à tous prix, de 1 à 100 francs. Peut-être seulement fait-il trop souvent usage, pour s'exciter et se donner des forces, du moyen qu'employait Gargantua lorsqu'il vint étudier à l'université de Paris, et lorsqu'il se rafraîchit pendant deux ou trois jours avec ses amis, s'informant du nom des savants qui habitaient la ville et de la quantité de vin qu'ils avaient bue.

C'est surtout par la promptitude avec laquelle il calcule les coups, que Labourdonnais se distingue de tous les autres joueurs d'échecs. Depuis Philidor jusqu'à nos jours, aucun de ses rivaux n'a pu l'égaler sous ce rapport. Lorsqu'on joue avec lui pour la première fois, on est stupéfait de la rapidité de ses mouvements. Vous disposez-vous à faire marcher une pièce, avant que votre main n'ait atteint le milieu de l'échiquier, elle rencontre la main de votre adversaire, qui s'apprête à repousser votre attaque projetée. 

Vous jouez cependant, vous tentez un coup que vous avez médité pendant un quart d'heure, et , vous félicitant d'avoir fait le coup, vous vous appuyez nonchalamment sur le dos de votre chaise pour vous reposer de vos fatigues; vaine espérance, illusions terrestres! A peine touchez-vous ce soutien désiré, que votre adversaire a déjà joué à son tour; il vous faut renoncer à toute pensée de tranquillité et de repos, et, comme le damné de la mythologie païenne, recommencer à rouler la pierre fatale au sommet de la montagne.

Une seule chose égale la rapidité de Labourdonnais, c'est sa gloutonnerie de joueur; rien ne peut le rassasier, jamais vous ne l'entendrez crier: Assez, assez! Il joue aux échecs de midi à minuit, sept jours par semaine. Quant à moi, je le compare parfois à une espèce d'automate, fabriqué de manière à faire avec une précision mathématique toutes les parties possibles. Lorsque eut lieu ce fameux duel de cent parties entre lui et notre Mac Donnell, quelquefois, après six ou sept heures, Mac Donnell cessait le combat, épuisé de fatigue; Labourdonnais était toujours aussi frais et aussi dispos qu'au commencement de la lutte.

Il dîne en dix minutes, à côté de l'échiquier, et se remet au jeu dès qu'il a fini; puis il joue jusqu'à minuit, fumant des cigares, buvant du punch et de l'ale, fredonnant et lançant de temps à autre autour de  lui des bons mots et des épigrammes d'une voix aussi forte et aussi retentissante que celle de Lablache. C'est surtout après son dîner, et quand il gagne, qu'il se livre à ses accès de gaîté; s'il perd, au contraire, son front se couvre aussitôt de nuages sombres. Le sang-froid de Mac Donnell le stupéfait d'étonnement. "Eh quoi ! me disait-il un jour, il perd trois parties et il sourit ! à sa place je m'arracherais les cheveux de la tête." Il l'eût fait comme il le disait.

Labourdonnais n'a pas dédaigné d'étudier les livres; il a joué toutes les parties écrites. Aussi aucun joueur ne sait mieux que lui ouvrir ou terminer une partie. Sans doute il parait quelquefois mépriser les axiomes établis, mais parce que son génie lui fait découvrir de nouvelles lois et ne reconnait que celles qu'il crée. La sûreté avec laquelle il prévoit les coups éloignés, est vraiment admirable.

Nul ne sait si bien que lui sacrifier une pièce quand il le faut, nul ne devine mieux que lui le moment favorable de jouer telle ou telle pièce; se sent-il pressé, ses coups de ressource sont écrasants. Malheur à vous si vous n'avez fait que le renverser sans le tuer! Semblable à Antée, il se relève plus fort et plus terrible de sa chute. "Je n'aurai jamais abandonné le sceptre des échecs, disait Deschapelles, si je n'avais pas dû le transmettre à Labourdonnais; il est digne de soutenir l'honneur de l'école, et dans ses mains la réputation de la France ne court aucun risque".

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